Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
/ / /
La Roumèque

 

 

                 La fête d’ Anduze était finie depuis longtemps.    

Les carcasses des anciens magnifiques chars étaient  reléguées dans un hangar. Il serait temps de voir si on pourrait récupérer quelque chose pour l’année d’après et faire encore plus beau pour rivaliser avec le corseaude Calvisson. 

                 Sur les ceps jaunes et pourpres les verjus avaient fini par mûrir.

                Les viticulteurs avaient terminé les vendanges, les caves étaient fermées (Le grappillage pouvait commencer).

                 Ce matin il était bien parti avec eux mais au chemin Bas, il lui avait dit : 

- Je retourne ;  il y a des garçons qui campent à la Figuière. On a décidé de décasquiller quelques corneilles .Un collègue de mon âge va m’apprendre à faire des paniers . Je t’en ferai un joli ! Ne t’en fais pas, les parents seront trop occupés pour s’apercevoir de mon absence.

 

- Ne dis rien ! Jure « croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer »crache !

 

                 C’est la petite Marie qui était allée demander leur aide. La  rue était longue, peu éclairée. Elle courut jusqu’à la brigade où les gendarmes l’écoutèrent avec un grand étonnement

                 Ne t’en fais pas gallinette, on va te le retrouver ton frère !

                 Ils n’étaient sûrs de rien. Il fallait faire vite et  être discrets ; n’ y avait- il pas des Gitans à la sortie d’ Anduze, sur la route de Saint Jean du Gard ? D’où venaient-ils ? On disait que c’était des voleurs de poules et d’ enfants. Peut-être avaient-ils pris Numa ? Il ne fallait pas perdre de temps.

                 En traversant Anduze ils interrogèrent des gens : Avez-vous vu un jeune garçon ?

 

                  Nous le recherchons aussi ! Mais dites Messieurs les gendarmes, il faudrait faire un tour du côté du Portail du Pas ! Depuis quelques jours il y a un campement de romanichels ; nous sommes sûrs qu’ils sont capables de l’avoir séquestré ; ces gens- là n’ont pas bonne réputation.

- Allez-y  vite ! Pour nous c’est trop dangereux. Vous, vous êtes armés                                     - Nous y allons de ce pas mais continuez de chercher.

                Arrivés à la Figuière, ils trouvent le lieu bien désert, un chien qui aboie

en leur montrant les dents, des poules, un cheval qui broute quelques rares  brins d’herbe et au milieu de tout cela,  une vieille femme assise surveillant un chaudron ou cuit doucement la soupe.

Un frisson parcourt leur corps. Qu’y a- t’il dans cette soupe ?

 

-C’est bien pour cela qu’ils y sont certainement ; les enfants font souvent ce qui est interdit !  

- Mais ça change tout, vous avez raison, il faut aller chercher du renfort, des lampes des bougies vite, vite !

- Quel bonheur ! Notre chèvre va permettre de retrouver les enfants.

              Toute la population d’Anduze plus les romanichels et les gendarmes  se rassemblent avec des bougies, des lampes de mineur. Ils prennent tous la direction du tunnel par le petit sentier et les escaliers qui se trouvent juste après l’usine à gaz et qui mènent  jusqu’à la voie du chemin de fer.

               Quelques hésitations avant de pénétrer, les plus courageux devant,  les moins derrière, les poltrons rebroussant chemin.

- Hou hou ! Vous êtes là ?

- Hou hou les enfants ?

- Il me semble que j’entends du bruit !

- Silence !

- NUMA, RAFAEL, TESTARASSE. Répondez !

- Courage, avançons ! Nous allons bien les trouver.

 

Les parents sont  effondrés, ils avaient bien cru qu’ils allaient retrouver leurs petits.

                                                         

             Ladjudant prend la parole :

- Il est tard rentrez chez vous ; nous reprendrons les recherches demain à la première heure !

Mesdemoiselles ! Allez coucher votre chèvre, nous avons perdu  un temps précieux à cause de vous.

Tout le monde se sépare, chacun rentre dans ses foyers bien inquiets.

 

             Les parents de NUMA et de RAFAEL discutent de leurs petits ; ils se rendent compte qu’ils sont pareils, que rien ne les différencie. Ils sont liés par le même chagrin.

Ils se séparent en se promettant de se retrouver dès l’aube.

 

            A la gendarmerie l’adjudant réfléchit. La brigade est petite, elle n’a pas assez d’hommes ; il faut qu’il en réfère à sa hiérarchie. Il fait les cent pas, puis se décide à téléphoner à son colonel.

- Allo ! Brigade d’Anduze ! Ici l’adjudant LECOQ ! Passez- moi le Colonel !

- Vous avez vu l’heure ?

- L’heure est grave ! Je vous prie de me passer le Colonel au plus vite !

- Attendez ! Je vais essayer de le joindre !

- C’est ça mais faites vite car ça ne peux pas attendre !

- Allo ! J’espère que vous avez une bonne raison de me réveiller !

- Mes respects mon Colonel ! Si je vous réveille, je vous prie de m’excuser, mais l’heure est grave ; Anduze vit des moments très difficiles : deux enfants ont disparu !

- Disparu ! Comment çà ? Qu’attendez- vous pour les retrouver ?

- C’est que mon  Colonel, nous les recherchons depuis des heures en vain !

- Silence ! Je vais dépècher  quelques hommes des brigades d’Alès et Saint Jean Du Gard.- si cela n’est pas assez, nous aviserons.

- Nous allons lancer l’opération cocorico.

- Lancez ce que vous voulez mais tâchez de les retrouver au plus vite.

- Mes respects mon Colonel !

                                                                                             

 

           Après avoir bu une tisane de tilleul préparée par sa femme, l’adjudant put se reposer quelques petites heures.

           Nos deux gamins dans tout ça, ou étaient ils ?

           La nuit était noire et froide, quel danger planait sur eux ?

           Etaient- ils encore en vie ? On commençait à en douter.

           Dans les maisons les lampes étaient restées allumées, tous veillaient en échafaudant d’hypothétiques  scénarios plus catastrophiques les uns que les autres.

           Nos deux loupiots après s’être lassés d’envoyer  des pierres aux corneilles avaient décidé non pas comme prévu de faire des paniers (ils auraient bien le temps pour cela, l’inaction leur avait donné le temps de réfléchir) mais d’un commun accord ils avaient opté pour la traversée d’Anduze par le tunnel. Munis d’allumettes, de bougies et de  pommes ils étaient partis gaiement à l’assaut de cette gueule noire.         

            Très vite ils avaient été à cours de lumière car les courants d’air éteignaient les bougies et ils avaient vite manqué d’allumettes.

Ils avaient eu une peur bleue dans ces ténèbres où le silence faisait parfois place à des bruits bizarres.

Puis, il y avait eu ces drôles de lumières qui, perçant cette épaisse noirceur, les avaient tétanisé.

Ils avaient cru mourir ; imaginez des yeux braqués sur eux comme des flèches.

Rafael  poussant un cri d’effroi : c’est la bête du Gévaudan !

Numa tremblant de tous ses membres : c’est la Roumèque qui vient nous chercher. On a désobéi, elle vient nous punir ! Maman !

- N’aie pas peur, la Roumèque est moins méchante que le loup.                                           

            Ces histoires de bête du Gévaudan et de Roumèque étaient racontées  aux veillées  dans toutes les familles. Elles permettaient, par la peur qu’elles engendraient, de faire obéir les enfants tout en donnant bonne conscience aux parents.                                                                                                 

           Ils avaient fuit à toutes jambes trébuchant à chaque pas sur les traverses et les cailloux.              

           Ils avaient  fini épuisés par se retrouver à la gare où un train chargé de minerai  leur avait servi d’asile.

               Ils avaient tout connu : la peur, la faim, le froid. La fatigue aidant, ils s’étaient endormis blottis l’un contre l’autre.

            Au petit matin, un bruit de moteur les avait réveillés.

.           A cet instant précis une grosse voix tout près avait tonné et une main avait soulevé la bâche.

            La peur leur avait coupé le souffle, leurs membres étaient comme de la guimauve.

            Une lampe était braquée sur eux.

- Que faites vous ici à cette heure ?

Pas de réponse, ils avaient perdu la voix.

- Répondez ! Vous ne seriez pas les deux gamins que tout Anduze recherche ?

- Oui  ne nous faites pas de mal !

- Vous méritez mon pied aux fesses, vous pouvez vous vanter d’avoir semé la pagaille ! tous les Anduziens sont rassemblés devant la Mairie avec plusieurs brigades de gendarmerie. Ils vont se partager et battre la campagne dans tous les sens.

- Descendez  en vitesse et montez dans la camionnette ! A cause de vous je vais être en retard à mon travail, le train doit partir dans 30 mm et je n’ai pas fini de décharger le minerai !

-Si je n’étais pas arrivé à temps, vous seriez partis Dieu sait où et dans quelle condition !

- Oh ! Je sais trop bien, moi, où on vous aurait retrouvé.

Je vais vous le dire petits malheureux, vous seriez partis avec ce minerai  pour  Viviez en Aveyron. Là, je ne veux pas penser à ce qui aurait pu se passer. Ou plutôt j’en ai froid dans le dos.

Sachez les enfants qu’arrivés à destination, les wagons sont basculés et vous seriez  partis avec tout le chargement ; vous auriez été broyés, vos pauvres parents ne vous auraient plus jamais revus .Vous méritez une bonne correction. J’espère que vous allez être punis et que çà vous servira de leçon.

- Pressons !

- J’ai peur ! Ce n’est pas notre faute ; bien sûr on a fait une grosse bêtise, en allant dans le tunnel. D’accord  c’est interdit. C’est la faute à la  Roumèque  qui nous a fait peur.  Vous savez bien qu’elle vient chercher les enfants qui ne sont pas sages pour les emmener au fond du puits. Si nous avions eu assez d’allumettes nous aurions traversé le tunnel sans problème. Nous serions rentrés à l’heure et personne ne se serait aperçu de notre retard.

              Notre chauffeur rit sous cape, il pense que ces deux-là vont être obéissants un bon bout de temps.

- Allez oust montez et plus un mot !

              Arrivé à l’allée monsieur ROUX stoppe le départ des gendarmes et des volontaires. Il annonce .

               - J’ai ce que vous cherchez dans la camionnette, soyez indulgents avec eux, je crois qu’ils ne recommenceront pas de sitôt.  Ils ont eu une bonne trouille.                                                         

         Les parents fous de joie se précipitent vers la camionnette et sortent leurs enfants qui s’attendent aux pires remontrances. Les parents trop heureux de retrouver leurs rejetons les serrent sur leur cœur.  Ils les embrassent si fort qu’une fois de plus ceux-ci croient mourir  mais là, c’est de joie et de bonheur.

               Tous les Anduziens sont contents du dénouement de l’histoire sauf peut-être l’adjudant LECOQ qui avait réveillé le Colonel et fait mobiliser plusieurs gendarmes. Pour sûr,  il allait se faire remonter les bretelles ; enfin ce n’était pas grave puisque les deux petits étaient sains et saufs.

                NUMA et RAFAEL allaient rentrer contents chez eux où un grand bol de lait chaud et de belles tartines les réconforteraient. Ils dormirent toute la journée et même toute la nuit suivante.

                La petite MARIE qui avait eu si peur de ne plus revoir son frère reprit des couleurs. Elle s’est empressée d’aller trouver le garde, qui avec joie, avait fait le tour d’ANDUZE avec son clairon :  

- « Avis à la population, les deux loupiots sont de retour ! Arrêtez les recherches, qu’on se le dise ! »  

          

               Pour remercier tous les anduziens sans oublier les gendarmes, les gitans donnèrent un grand spectacle de flamenco et de chants accompagnés à la guitare. Il y avait même un ours qui jouait du tambourin.

 

                Je les rencontre de temps en temps.

 

                Dans les longues veillées on oublie de parler de la bête du Gévaudan et surtout de la Roumèque. On préfère raconter cette belle histoire qui permet de rapprocher les êtres de tous horizons.

Partager cette page
Repost0

Présentation

  • : Le Blog du Club de la Porte des Cévennes
  • : Les dernières nouvelles sur les activités du club et des propositions pour vous évader, voyages proches ou lointains entre amis.
  • Contact

Archives

Catégories

Liens